Repenser
La 24ᵉ édition de la Quinzaine du commerce équitable se déroule cette année du 10 au 25 mai sous le thème : « Du commerce OUI, mais pas à tout prix ». Cette thématique interroge la véritable valeur des produits : leur origine, leur mode de production, et leur impact sur les femmes, les hommes et les écosystèmes.
À cette occasion, Melia Hope est allée à la rencontre de Laafi et Movement France, deux associations profondément engagées dans un commerce équitable, éthique, durable et humain. Nous discutons avec elles des alternatives concrètes à un modèle économique fondé sur la rentabilité au détriment de juste rémunération des producteurs, artisans et producteurs.
Qui sont Laafi et Movement France ?

Laafi est une association franco-burkinabè, organisée autour de deux pôles : l’un en France, l’autre au Burkina Faso. Depuis plus de 30 ans, elle œuvre pour l’autonomisation des communautés locales via des projets solidaires dans les domaines de l’apiculture, du maraîchage et de l’agroécologie.
Son approche repose sur la co-construction, le respect des savoir-faire locaux et une gouvernance partagée
Movement France, de son côté, est une structure associative dirigée par une équipe de 22 femmes, engagées dans la fabrication artisanale et la vente de produits éthiques.
Elle s’inscrit pleinement dans une démarche de commerce équitable local et international, avec un fort accent sur la dignité des conditions de travail et l’écoresponsabilité.

Le vrai prix des choses
L’un des messages forts de cette édition de la Quinzaine du commerce équitable est d’inviter chacun à s’interroger sur le prix réel des produits que nous consommons. Au-delà de l’étiquette, qui paie vraiment le coût de ce que nous achetons ?
Selon une étude récente de l’association Parlons Climat, les Français sont très attachés à la juste rémunération des producteurs. Pourtant, cette conviction peine encore à se refléter dans nos habitudes de consommation.
En réalité, les produits à bas prix ont souvent un coût caché : dégradation de l’environnement, précarité des travailleurs, atteintes à la santé. À l’inverse, un prix élevé ne garantit pas toujours que les revenus sont justement répartis.
Le rapport L’injuste prix de notre alimentation le montre bien : les coûts invisibles — pollution, manque de transparence, exploitation — pèsent surtout sur les petits producteurs, les artisans et les consommateurs, souvent les grands oubliés des chaînes de valeur.

Des alternatives existent
Des initiatives comme Laafi et Movement France prouvent qu’il est possible de faire autrement.
Laafi vend 90 % de sa production localement : sur les marchés, dans les épiceries ou les hôtels, à des prix accessibles pour les populations locales. Le juste prix y est pensé pour être éthique, mais aussi réaliste, sans jamais sacrifier les conditions de production.
Movement France, de son côté, propose des produits beaux, utiles, durables et abordables.
Comme le souligne Gaëlle : « Si nous voulons un monde plus juste, il faut que les produits équitables soient accessibles au plus grand nombre.Sinon, comment espérer changer les mentalités et dépasser l’idée que l’équitable est réservé à une élite ? »


Une vision du commerce équitable centrée sur la justice, pas la rentabilité
Pour Laafi, le commerce équitable est un modèle politique et social reposant sur des piliers non négociables : une rémunération juste des producteurs, leur participation aux décisions, le respect de l’environnement et une transparence dans toute la chaîne. pour Charlotte, cofondatrice, « Il ne s’agit pas seulement de rentabilité, mais de justice et de durabilité à chaque étape. »
Du côté de Movement France, Gaëlle appuie cette vision : « Dans ‘commerce équitable’, il y a deux mots : commerce, pour créer de la richesse ; équitable, pour qu’elle soit justement répartie. »
Les deux associations refusent de réduire leurs actions à de simples transactions. Pour elles, il est impératif de redonner du pouvoir à ceux qui produisent — et d’exiger que ce pouvoir soit reconnu dans les choix d’achat et les politiques économiques.

Pas de réussite sans implication locale
Chez Laafi, chaque projet est initié, piloté et porté par les communautés locales. Le pôle France joue un rôle d’appui — qu’il soit logistique, humain, matériel ou moral — mais jamais décisionnaire.
Cette posture de facilitateur, plutôt que de porteur de projet, a permis à Laafi de bâtir un réseau solide de coopératives, d’associations et de producteurs locaux, qui s’approprient pleinement les dynamiques de développement.
Chez Movement France, l’organisation est différente mais repose sur le même principe : ce sont les 22 femmes salariées, en majorité issues des communautés locales, qui gèrent la production, la vente, la logistique, la gestion et la création.
Tout est pensé pour renforcer leur autonomie, jusqu’à l’atelier lui-même, construit en terre, alimenté par énergie solaire et doté d’un forage.

S’adapter aux réalités du terrain
L’actualité politique et climatique au Burkina Faso pose des défis majeurs. Sécheresses, accès restreint à l’eau, tensions sécuritaires ou encore coûts d’importation prohibitifs rendent le terrain difficile.
Pour Laafi, cela signifie adapter l’activité : former les apiculteurs à une apiculture durable, distribuer des ruches traditionnelles (jusqu’à cinq pour démarrer, grâce à des dons), et offrir des microcrédits remboursables en pots de miel, afin de permettre aux producteurs de se développer malgré les faibles marges. Aujourd’hui, plus de 6 000 apiculteurs sont accompagnés par l’association.
Movement France, elle, agit sur un autre levier : le bien-être des femmes. Des vélos, des kits hygiéniques, des lampes solaires, des repas chauds quotidiens, et bientôt une garderie pour enfants : tout est mis en œuvre pour que le travail s’inscrive dans un quotidien digne et soutenable.




Et demain ?
Faire du commerce un levier politique
Si les consommateurs ont un rôle à jouer, les politiques publiques doivent aussi prendre le relais. Pour Charlotte (Laafi), le plaidoyer est un défi majeur : « Il ne suffit pas d’acheter équitable. Il faut des lois, des subventions, des leviers pour soutenir ces modèles. »
Movement France, pour sa part, ajoute : « Il faut encore mieux sensibiliser à la valeur cachée des produits — en santé, en environnement, en justice sociale — pour que les choix d’achat s’appuient sur autre chose que le seul prix. »
Les deux associations rappellent qu’on peut s’engager bien au-delà de l’achat. Dons financiers (défiscalisables), mécénat de compétences, partenariats logistiques : autant de leviers pour accompagner leur action sur le long terme.
« Ce n’est pas seulement ce que vous achetez, mais comment vous choisissez de soutenir ceux qui produisent », résume Charlotte.
Derrière chaque pot de miel, chaque sac cousu, chaque savon, ce sont des vies dignes, des terres respectées, des droits défendus. Laafi et Movement France nous rappellent qu’un autre commerce est non seulement possible… mais déjà en marche.
